Kevin Farrell, l’homme du Vatican en intérim
Discret mais influent, le cardinal Kevin Farrell, camerlingue de la Sainte Église romaine, assure l’intérim du Saint-Siège après le décès du pape François. Portrait d’un prélat peu médiatique, mais essentiel dans cette phase de vacance apostolique.
Une ascension à pas feutrés : du diocèse de Dallas aux couloirs du Vatican
Né à Dublin en 1947, Kevin Farrell grandit dans une famille catholique fervente. Il rejoint très jeune les Légionnaires du Christ, un ordre connu pour sa discipline rigoureuse et son expansion internationale. Il étudie successivement en Espagne, puis à Rome, où il obtient des diplômes en philosophie et en théologie. Après avoir été ordonné prêtre en 1978, il part exercer son ministère au Mexique avant de s’installer définitivement aux États-Unis. Là, il change de congrégation et s’incardine dans l’archidiocèse de Washington en 1984. Il y dirige plusieurs services pastoraux, notamment ceux dédiés à la communauté hispanophone, un engagement qui le rend très populaire auprès des migrants catholiques.
Nommé évêque auxiliaire de Washington en 2001, Farrell bénéficie de la confiance du cardinal Theodore McCarrick, à l’époque archevêque. En 2007, il devient évêque du diocèse de Dallas, un territoire immense et dynamique, marqué par la pluralité des cultures et des origines. Il y mène un travail de réorganisation de la pastorale familiale et de la catéchèse, mettant en place des structures modernes d’accompagnement pour les laïcs. Cette capacité à administrer avec rigueur un diocèse aussi vaste que complexe lui vaut d’être remarqué à Rome, à l’heure où le Vatican cherche à mieux intégrer les réalités sociales des grandes métropoles.
En 2016, dans un geste fort, le pape François nomme Kevin Farrell à la tête du tout nouveau Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie. Cette promotion marque son entrée dans la Curie romaine, mais aussi sa proximité idéologique avec le souverain pontife, qui souhaite faire entendre davantage la voix des fidèles non-clercs. La même année, Farrell est créé cardinal. C’est encore François qui le nomme en 2019 camerlingue de la Sainte Église romaine, un poste central en cas de décès ou de renonciation du pape. Le choix d’un homme étranger au microcosme curial italien illustre l’intention du pape de réformer en profondeur la gouvernance de l’Église.
Le camerlingue : un pouvoir limité mais décisif dans la vacance pontificale
À la mort du pape François, survenue le 21 avril 2025, c’est Kevin Farrell, en sa qualité de camerlingue, qui prend les rênes de l’administration du Saint-Siège. Contrairement à ce que l’imaginaire collectif suppose, il ne gouverne pas l’Église sur le fond, mais en assure la continuité matérielle et institutionnelle. Il lui revient de constater officiellement le décès du pape, de sceller ses appartements, de sécuriser les archives pontificales et de veiller à ce que l’administration de l’État de la Cité du Vatican continue de fonctionner. Cette période de vacance du Siège apostolique est appelée Sede vacante.
Outre ses responsabilités administratives, le camerlingue joue un rôle central dans l’organisation des funérailles du pontife défunt, en collaboration étroite avec le doyen du Collège des cardinaux. Il supervise également les réunions des cardinaux appelées congrégations générales, durant lesquelles ces derniers échangent sur les orientations à donner à l’Église. Enfin, il prépare logiquement le conclave, en assurant la logistique, la confidentialité et la sécurité de cette élection hautement symbolique. Tout cela doit se faire dans le strict respect de la Constitution apostolique Universi Dominici Gregis, qui encadre ces moments rares et solennels.
La nomination de Farrell comme camerlingue, en 2019, répondait déjà à une volonté d’équilibre au sein du collège cardinalice, tiraillé entre courants conservateurs et progressistes. En cette période de transition, son tempérament modéré, son expérience dans les contextes interculturels, et son absence de visée papabile font de lui un arbitre impartial et rassurant. Il n’est ni un homme d’appareil curial, ni un militant théologique. Il incarne plutôt l’Église gestionnaire, garante de la tradition, tout en étant attentive aux évolutions de la société. En cela, il est l’image même de la stabilité, dans un moment où l’Église universelle se tourne vers l’avenir.
Entre conservatisme doctrinal et controverses biographiques
Farrell n’a jamais caché son attachement à la doctrine traditionnelle sur les questions morales et sociétales. Il s’est publiquement opposé au mariage entre personnes de même sexe, à l’euthanasie, et à l’avortement. Il a également exprimé de sérieuses réserves sur la possibilité d’ordonner des femmes prêtres, se montrant réticent face aux revendications féministes au sein de l’Église. En 2018, il avait refusé que Mary McAleese, ex-présidente irlandaise critique du Vatican sur les droits des femmes, prenne la parole dans une conférence universitaire au Vatican. Cette attitude a nourri chez certains l’image d’un prélat rigide, mais elle séduit une large frange du catholicisme mondial, soucieuse de préserver les repères traditionnels.
Comme beaucoup de prélats américains de sa génération, Kevin Farrell a été proche du cardinal Theodore McCarrick, dont il partageait les appartements à Washington. McCarrick a depuis été réduit à l’état laïc après des révélations accablantes sur des abus sexuels. Farrell a toujours nié avoir eu connaissance des faits, mais cette proximité reste une ombre dans sa biographie. Par ailleurs, il avait reçu des fonds de Michael Bransfield, évêque de Wheeling, accusé de détournements financiers et de harcèlement sexuel. Là encore, Farrell a restitué l’argent dès que le scandale a éclaté, mais ces épisodes entachent une carrière pourtant marquée par la discrétion et la compétence.
Si certains catholiques progressistes lui reprochent son conservatisme et ses amitiés passées, Kevin Farrell jouit d’une solide réputation d’administrateur et d’homme de confiance. Son profil international, sa maîtrise de plusieurs langues, sa connaissance des réalités ecclésiales en Europe comme en Amérique latine, et son absence d’ambitions personnelles en font une personnalité de consensus. À l’heure où l’Église catholique se prépare à élire un nouveau pontife, il incarne une transition sobre, rigoureuse, et respectueuse des équilibres fragiles de la gouvernance vaticane.