Pourquoi l’extrême droite cible si frontalement l’audiovisuel public

Le lancement, ce 25 novembre à l’Assemblée nationale, d’une commission d’enquête consacrée à « la neutralité, au fonctionnement et au financement de l’audiovisuel public » par le groupe UDR d’Éric Ciotti marque une nouvelle étape dans le bras de fer entre l’extrême droite et les médias publics. Derrière l’affichage institutionnel, cette initiative illustre une hostilité profonde, parfois ancienne, à l’égard de France Télévisions, Radio France ou franceinfo, accusés de partialité et de proximité idéologique avec la gauche.

Un climat de défiance entretenu de longue date

Depuis plusieurs années, certaines figures médiatiques et politiques situées très à droite revendiquent ouvertement leur méfiance envers le service public. Les éditoriaux offensifs de Pascal Praud sur CNews, les promesses de Marine Le Pen de privatiser France Télévisions ou encore les accusations récurrentes de manque de neutralité constituent un socle commun : celui d’un procès permanent en militantisme supposé.

Cette confrontation connaît un tournant avec la commission d’enquête souhaitée par Éric Ciotti. Elle prévoit d’auditionner des personnalités bien connues des téléspectateurs, de Léa Salamé à Patrick Sébastien en passant par Élise Lucet. Avant même son installation, certains proches du président de l’UDR promettent des révélations et des « cadavres dans le placard », laissant entendre que les conclusions seraient écrites d’avance.

Pour Christian Delporte, historien des médias, cette offensive s’inscrit dans une logique déjà ancienne : l’extrême droite reproche depuis toujours au service public son indépendance éditoriale et sa liberté de ton. « Ses journalistes ne sont pas des activistes politiques, et c’est précisément ce que certains courants ne supportent pas », rappelle-t-il.

Des reproches contredits par les chiffres

Pendant la présidentielle de 2017, Marine Le Pen avait ouvertement accusé France 2 de lui être hostile lors d’un échange tendu en direct. Depuis, les charges n’ont jamais vraiment cessé. Plus récemment, après que Delphine Ernotte a qualifié CNews de chaîne orientée très à droite, la cheffe des députés RN a riposté en accusant la dirigeante d’être elle-même une militante « marquée à gauche » et en contestant la légitimité d’un financement public d’ampleur.

Pourtant, les données contredisent les discours. Selon les relevés trimestriels de France Télévisions, le RN a bénéficié, au troisième trimestre 2025, du plus important temps de parole politique à l’antenne, devant tous les autres partis. Par ailleurs, le service public n’hésite pas à offrir des espaces à des voix très marquées à droite : franceinfo a recruté des éditorialistes venus de CNews, France Inter a accueilli un journaliste du Figaro Vox, et c’est notamment grâce à France 2 que la notoriété d’Éric Zemmour avait explosé.

François Jost, spécialiste de l’analyse des médias, rappelle que la perception de « gauchisme » supposé repose souvent sur une confusion : les valeurs humanistes – égalité devant la loi, droits humains, défense de l’environnement – sont automatiquement associées à la gauche par certains courants, alors qu’elles sont, historiquement, transpartisanes.

Une offensive culturelle qui dépasse les médias publics

Les tensions entre l’extrême droite et l’audiovisuel public ne datent pas d’hier. Jean-Marie Le Pen lui-même avait longtemps considéré France Télévisions comme un bastion hostile, et ses militants huaient régulièrement les journalistes du service public dans les meetings des années 1980 et 1990. Mais un changement stratégique s’opère aujourd’hui : historiquement, le RN prônait un contrôle centralisé des directions des chaînes. Désormais, l’exemple du groupe Bolloré montre qu’une influence privée peut être plus efficace qu’un pilotage politique direct. Certains imaginent même, à terme, des ventes de chaînes publiques à des acteurs proches idéologiquement.

Plus récemment, la polémique déclenchée par la diffusion d’images montrant Patrick Cohen et Thomas Legrand discutant avec des responsables socialistes a été largement exploitée par CNews, qui y a consacré de longues séquences. D’autres médias proches de la droite radicale ont dénoncé une prétendue « propagande financée par les impôts ».

Cette stratégie se déploie dans un contexte où une partie de l’opinion, moins attachée qu’autrefois aux missions de service public, peut se montrer réceptive. À l’heure où les usages télévisuels déclinent et où la question du pouvoir d’achat domine, l’argument consistant à « ne plus payer pour des chaînes qui ne font pas d’audience » trouve un écho. Ainsi, des programmes d’intérêt général – par exemple une émission récente de Jamy Gourmaud sur les stéréotypes racistes – se retrouvent régulièrement la cible de critiques virulentes de députés RN, accusant le service public de « cracher au visage des Français ».

Pour Christian Delporte, ces attaques s’inscrivent dans une stratégie plus vaste : une bataille culturelle menée de concert avec les médias de la galaxie Bolloré, comparable aux méthodes observées en Hongrie ou en Italie là où les populistes de droite exercent le pouvoir. L’audiovisuel public, en refusant de s’aligner sur les récits politiques dominants, demeure un contre-pouvoir symbolique mais solide. C’est précisément ce qui en fait une cible prioritaire.

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